Régulation bancaire: la réforme est enterrée. 12 DÉCEMBRE 2017 PAR MARTINE ORANGE

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Ce devait être la dernière pierre de la régulation bancaire, censée tirer les leçons de la crise financière de 2008. Mais l’accord de Bâle IV prévoit de laisser indemnes les banques européennes. Ce recul signe le renoncement à toute réelle transformation des pratiques des banques.

Ce devait être la dernière pierre de l’édifice, censée tirer les leçons de la crise financière de 2008. À lire les réactions du milieu bancaire après l’annonce de la nouvelle réglementation bancaire, dite Bâle IV, présentée le 7 décembre, quelque chose pourtant cloche. Alors que les banquiers européens ont bataillé pendant des années contre ces nouvelles normes bancaires qui allaient les «mettre à genoux», tous ont accueilli par un tonnerre de louanges le nouveau dispositif.

L’accord était à peine signé que la Commission européenne se félicitait:«Les mesures adoptées par le comité de Bâle constituent le dernier instrument législatif majeur de la réforme réglementaire lancée dans le sillage de la crise financière», assurait-elle.«L’accord qui vient d’être conclu pour finaliser Bâle III est le meilleur accord possible pour la France et pour l’Europe. Comme nous en avions clairement marqué l’exigence, cet accord présente trois caractéristiques essentielles: il est équitable, raisonnable et définitif», poursuivait de son côté le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau.

Le monde bancaire est tout aussi élogieux. Dans une de leurs notes, les analystes de JPMorgan Case soulignent que«l’accord est bien meilleur qu’attendu». De leur côté, ceux d’UBS s’empressaient de souligner que c’était un vrai soulagement pour les banques.«Celles-ci vont pouvoir augmenter à nouveau leurs dividendes.»Ce qui est quand même l’essentiel.

Le président de la BCE, Mario Draghi, entouré de Stefan Ingves et de William Coen, respectivement président et secrétaire général du Comité de Bâle, le 7 décembre. © Reuters

Si Bâle IV recueille tant de louanges chez les banquiers, c’est parce qu’ils en ont tiré une conclusion immédiate: rien ne va changer.«Le monde bancaire ressort indemne», reconnaît le Financial Times. Même le comité de Bâle, l’instance internationale de régulation bancaire chargée de mettre au point le nouveau dispositif, l’avoue à demi-mot: le compromis trouvé avec tous les acteurs financiers et bancaires ne va pas se traduire par des«augmentations significatives»des fonds propres des banques pour couvrir leurs risques.

Le recul des exigences des régulateurs se résume à un chiffre. Alors que les besoins en fonds propres des banques pour répondre aux nouvelles réglementations bancaires en discussion étaient évalués en centaines de milliards d’euros il y a encore un an –la fédération bancaire européenne parlait alors de 850 milliards d’euros de capitaux supplémentaires–, le comité de Bâle a estimé,in fine, que 90,7 milliards d’euros d’augmentation de capital seraient suffisants pour l’ensemble des grandes banques internationales. Les grandes banques européennes, qui se sentaient le plus menacées, n’auraient, elles, besoin que de 36,7 milliards d’euros de capitaux supplémentaires pour se conformer à la nouvelle réglementation, selon les calculs. Tous les analystes, à commencer par le FMI, s’accordent cependant à dire que les banques européennes sont sous-capitalisées.

Au moment de la crise financière de 2008, le comité de Bâle s’était pourtant engagé à durcir les règles du secteur bancaire. De nouveaux ratios prudentiels avaient été imposés, les banques avaient été obligées de renforcer leurs fonds propres. Mais la qualité de leurs réserves restait en discussion. Surtout, trop d’opacité entourait encore les calculs et les modèles de risques établis par les banques elles-mêmes, selon les régulateurs. Cela rendait impossible d’évaluer à leur juste mesure les risques posés par les milliards de milliards cachés dans les portefeuilles bancaires sous forme de prêts, de crédits immobiliers, de dérivés, d’engagements divers, affirmaient-ils. Or, c’était cette opacité qui avait conduit à la crise des subprimes et menacé d’engloutir l’ensemble de la planète financière et avec elle, l’économie mondiale. D’où la nécessité pour les régulateurs internationaux d’établir de nouveaux modèles plus clairs, applicables à tous.

Mais c’était compter sans l’hostilité des banques européennes, et en particulier des banques françaises et allemandes. Car revenir sur certaines pratiques comptables, imposer de nouvelles obligations prudentielles risquait de remettre en cause le modèle de la banque universelle, celui qui permet la grande confusion entre les activités de banque de détail et d’investissement, qui autorise les sauvetages publics au nom du«too big to fail».

Lancés en 2013, les travaux du comité de Bâle n’ont cessé depuis de rencontrer une opposition systématique, le lobby bancaire européen menant une guerre de tous les instants. Tous les arguments ont été utilisés. En vrac: le durcissement de la réglementation allait pénaliser l’économie européenne, car les banques n’allaient plus pouvoir financer les entreprises comme auparavant; les banques européennes allaient être désavantagées par rapport à leurs concurrentes américaines, car à l’inverse des banques américaines, elles conservaient dans leur bilan une partie des prêts hypothécaires; au moment où l’Amérique de Trump s’apprêtait à défaire des pans entiers de la régulation financière issue de la crise de 2008, les banques européennes allaient se voir imposer de nouvelles contraintes qui menaceraient la survie de tout le secteur en Europe, etc. Bref, il était urgent de ne rien toucher.

Leurs critiques ont porté. Pendant deux ans, l’Allemagne et la France se sont opposées à toutes les propositions avancées par le comité de Bâle. Finalement, un compromis a été trouvé: les banques allaient pouvoir continuer d’évaluer en partie leurs risques, selon leurs propres méthodes. Les risques portés dans les bilans bancaires devront être calculés à l’avenir à hauteur de 72,5% selon les règles standard établies par le comité de Bâle. En d’autres termes, les banques poursuivront leur petite cuisine en évaluant elles-mêmes leurs engagements sur plus d’un quart de leur bilan. On en vient naturellement à penser qu’elles utiliseront plus leurs propres méthodes pour calculer leur exposition sur les dérivés que sur les crédits immobiliers.

La fin de toute volonté d’encadrement des pratiques bancaires

Même si le comité de Bâle demande en contrepartie une augmentation des ratios prudentiels, pour les porter à 12,5% des fonds propres, voire 15,2% pour les grandes banques «systémiques», la mesure perd en partie de sa pertinence. Cela explique en tout cas que les estimations de besoins en capitaux supplémentaires aient fondu comme neige au soleil.

Mais même allégées, ces nouvelles règles ne sont pas assurées de voir le jour. Officiellement, les banques ont jusqu’en 2027 pour se conformer aux nouvelles règles, censées entrer en vigueur en 2022. D’ici là, une nouvelle crise financière a largement le temps d’advenir. D’autant, que pour être adoptées, les règles doivent être transposées dans les législations de tous les pays signataires.

«J’espère que les banques instaureront loyalement la nouvelle réglementation», a indiqué Stefan Ingves, président du comité de Bâle,dans un entretien à Bloomberg, laissant poindre un certain pessimisme. Le président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, se montre tout aussi prudent.«Cela a été difficile d’obtenir un accord. Cela sera également difficile maintenant d’obtenir que toutes les juridictions adoptent et mettent en place cet accord à temps et de manière réelle», constatait-il au moment de la signature. Une façon de laisser entendre que l’adoption d’une nouvelle réglementation, même aménagée comme elle l’a été, était loin d’être acquise.

Sans attendre, le lobby bancaire a déjà engagé les premières manœuvres auprès des responsables politiques.«Nous ne devons pas perdre de vue que la réglementation peut causer de nombreux dommages aux économies européennes et à la compétitivité des banques européennes», a déclaré Wim Mijs, un des responsables de la Fédération bancaire européenne.

Les banques européennes, emmenées par les banques françaises et allemandes, savent qu’elles ont un auditoire tout acquis auprès de leurs gouvernements respectifs et de la Commission. Au plus fort de la crise, les banques françaises ont réussi à faire préempter le sujet de la séparation bancaire par le gouvernement français afin de le vider de toute substance(lire ici,ou encore là). La manœuvre a réussi au-delà de leurs espérances: toutes les propositions de Michel Barnier, alors commissaire européen chargé du marché intérieur, qui reprenaient les préconisations du rapport Liikanen sur la nécessité de séparer les activités de marché des banques, ont été promptement enterrées.

Depuis, l’Europe va de renoncement en renoncement.La taxe sur les transactions financièresa été renvoyée aux calendes grecques. Les concentrations bancaires se sont poursuivies au profit des grandes banques, toujours plus gigantesques. Fin octobre, la Commission européenne a fait unnouveau cadeau magnifique au secteur bancaire: dans la plus grande discrétion, elle a abandonné définitivement tout projet de séparation des activités bancaires. Au point mort depuis 2015, le projet ne s’imposait plus, selon la Commission, compte tenu des«importantes mesures déjà prises pour cantonner les activités de marché dans les banques».Pour Bruxelles, les banques européennes sont plus sûres que jamais. Et l’Union bancaire a apporté toutes les réponses aux problèmes des banques.

Patrick VALLOT ESCLAVE POST MODERNE

 

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Les dix premières banques européennes les plus risquées. Le « texas ratio » est un indice de risque, rapportant les créances et les actifs douteux au capital et réserves de la banque. Plus il est élevé, plus le risque est grand. © Bloomberg

Les récentes faillites de Banco Popular en Espagne ou de Monte dei Paschi, de Veneto Banca ou de Banca di Vicenza en Italie montrent pourtant que l’état de santé des banques européennes est loin d’être assuré. La situation semble même s’aggraver. Selon les dernières évaluations, une dizaine de grandes banques européennes –parmi lesquelles de nombreuses banques italiennes– affichent des bilans de plus en plus plombés: le total de leurs créances douteuses, voire irrécouvrables, et d’actifs pourris dépasse le montant de leurs capitaux.

La Banque centrale européenne semble si inquiète qu’elle en est à envisager des mesures coercitives, très éloignées des dispositifs de sauvetage arrêtés dans le cadre de l’Union bancaire.Dans une très discrète note de travail, publiée début novembre, l’institution monétaire, qui supervise également toutes les grandes banques européennes, préconise de restreindre les retraits des déposants, en cas de faillite bancaire. Officiellement, il s’agit de tirer les leçons des récentes faillites bancaires européennes: lors de l’écroulement de Banco Popular en Espagne, les retraits des déposants ont frisé les 2 milliards d’euros par jour, accélérant encore la faillite. Afin d’éviter une fuite des dépôts, les détenteurs de compte ne pourraient retirer que des montants correspondant à 5 jours de leurs dépenses quotidiennes, en cas de difficulté.

Cette mesure a un sous-texte. Pendant ce temps, les actionnaires et les créanciers, qui bénéficient déjà d’une asymétrie d’informations, conserveraient toute latitude pour vendre leurs titres au plus vite pour ne pas avoir à payer le prix du sauvetage, alors que les déposants se retrouveraient piégés. Dès lors, que devient la garantie plafonnée à 100000 euros accordée à tous les déposants dans le cadre de l’Union bancaire? Après le sauvetage par les finances publiques (bail-out), les déposants ne seront-ils pas appelés en priorité à voler au secours des banques, loin des schémas annoncés publiquement qui parlent de renflouement par les actionnaires et les créanciers (bail-in)?

Toutes ces questions sont superflues, à entendre le monde bancaire.«La crise financière est derrière nous», assurent les banquiers. D’une certaine façon, il est vrai que la crise est vraiment finie: il n’y a plus aucune volonté politique pour essayer de mieux encadrer les pratiques bancaires. Avec Bâle IV, les derniers clous sont enfoncés dans le cercueil de la régulation bancaire.

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